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L'escalier d'or - Edmond Jaloux (livre audio) | @ebookaudio

L'escalier d'or - Edmond Jaloux (livre audio)Y inclus, gratuitement, "Cyrano de Bergerac", d'Edmond Rostand .epub et .mobi.
Extrait: J’étais, en effet, assis dans la boutique de M. Delavigne, ligoté comme un prisonnier par les nœuds d’une serviette si humide qu’elle risquait fort de me donner des rhumatismes, et mon geôlier jouait à faire pousser sur mes joues une mousse de plus en plus légère, quand la sonnette de l’établissement, qui avait, je ne sais pourquoi, un timbre rustique, tinta doucement. Mon regard plongeait dans la glace qui faisait face à la porte. Je vis entrer un personnage qui me parut curieux, au premier abord, sans que je comprisse exactement pourquoi.
Il était corpulent, de taille moyenne, d’aspect un peu lourd. Son front bombé, ses petits yeux vifs, se joues rondes et creusées d’une fossette, son nez pointu aux narines vibrantes, une lèvre rasée, un collier de barbe qui grisonnait, me rappelèrent très vite un visage bien connu ; mais il y avait dans ses traits quelque chose d’amolli, de lâche, de détendu. L’inconnu ressemblait certainement à Stendhal, mais à un Stendhal en décalcomanie. Il portait un vieux feutre sans fraîcheur et un gros pardessus bourru, de couleur marron, qui laissait voir un col mou et une cravate usée, mais dont les couleurs autrefois vives révélaient d’anciennes prétentions. Il s’assit dans un coin, après avoir échangé avec M. Delavigne un salut cordial. Au bout d’un moment, le voyant désœuvré, le coiffeur lui offrit un journal.
Mais le client refusa majestueusement cette proposition :
– Vous savez bien, dit-il, que je ne lis jamais de journaux, jamais ! Pourquoi faire ? Je n’ignore pas grand’chose des turpitudes qui peuvent se passer dans ce bas-monde. En quoi pourraient-elles m’intéresser ?… Vous, monsieur Delavigne, voulez-vous me dire ce qui vous intéresse dans un journal ?
– Mais les crimes, par exemple, dit M. Delavigne, décontenancé.
– Les crimes ? Ils sont déjà tous dans la Bible ! Ils ne varient que par le nom de la localité où ils ont été commis.
– La politique…
– La politique ? Parlez-vous sérieusement, monsieur Delavigne ? La politique ? Vous tenez sincèrement à savoir par quel procédé vous serez tracassé, volé, martyrisé et réduit en esclavage ? Moi, ça m’est égal ! Les moutons ne seront jamais tondus que par les bergers. Maintenant, si vous préférez un berger qui porte un nom de famille à un berge
r qui porte un numéro, c’est votre affaire. Une affaire purement personnelle, monsieur Delavigne, ne l’oublions pas !
– Enfin, j’aime à savoir ce qui se passe !
– Moi aussi ! Ou plutôt, j’aimerais à savoir ce qui se passe, s’il se passait quelque chose. Mais il ne se passe rien, vous entendez bien, rien !
Il s’enfonça de nouveau dans sa méditation, et M. Delavigne me fit plusieurs petits signes du coin de l’œil, pour me signaler qu’il avait affaire à un original, un fameux original ! Je m’en apercevais, parbleu ! Bien.
Je clignai de la paupière à mon tour, afin d’engager M. Delavigne à reprendre sa conversation avec le faux Stendhal.
Après quelques instants de silence, le coiffeur débuta ainsi :
– Si vous ne vous intéressez pas aux journaux, ni aux crimes, ni à la politique, monsieur Bouldouyr, à quoi donc vous intéressez-vous ?
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